Les spécificités du contentieux électoral
Il n’y a pas à proprement parler de « juge électoral », mais une réalité juridictionnelle multiple. Si le juge administratif a compétence pour contrôler la régularité des élections locales et européennes, c’est au Conseil constitutionnel qu’il revient l’office de contrôler la régularité des élections parlementaires et présidentielle. Quant au juge judiciaire, il conserve une compétence résiduelle pour le contentieux des inscriptions sur listes électorales, mais surtout une compétence décisive pour le prononcé de sanctions pénales, dès lors que les dispositions pénales du code électoral sont méconnues.
Le contentieux électoral présente en lui-même des spécificités importantes. Ces particularités se comprennent bien lorsqu’on les rapporte aux exigences et nécessités politiques du processus électoral. Exigence, d’abord, de rapidité dans le processus décisionnel. Il faut en effet pouvoir purger rapidement le sort des élections contestées. Nécessité, ensuite, d’ouvrir la contestation au plus grand nombre. En rendant les élections largement contestables, on ne fait en réalité que leur donner davantage de légitimité. Les délais pour agir sont toutefois très courts, de quelques jours tout au plus. Par dérogation au droit commun du contentieux administratif, l’appel est par ailleurs suspensif en matière électorale[1]. Condition, enfin, sine qua none pour que chaque électeur puisse véritablement agir pour assurer le contrôle de la régularité des opérations électorales : « Les recours en matière électorale devant les tribunaux administratifs et le Conseil d’État sont jugés sans l’intervention obligatoire d’un avocat au Conseil d’État »[2]. Très largement ouvert, le contentieux électoral est même tout bonnement dispensé du ministère d’avocat[3].
L’inéligibilité d’un candidat peut être obtenue à l’initiative de tout électeur s’agissant d’une contestation formée contre l’élection elle-même, alors qu’elle ne peut l’être qu’à l’initiative de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) s’agissant de la méconnaissance des règles de financement des campagnes électorales[4]. C’est là une différence procédurale significative qui rend compte des deux versants du droit électoral que sont le respect de la sincérité du scrutin et le financement des campagnes électorales.
Les règles destinées à assurer la sincérité des scrutins électoraux
Dans une démocratie représentative comme la nôtre, « le vote est un acte aux effets limités dans sa portée immédiate : choisir, désigner des élus, trancher une décision politique, mais essentiel par ses conséquences de représentation : désigner des gouvernants, promouvoir des idéologies, choisir la mise en œuvre d’un programme, parfois même un seul dirigeant »[5]. Il existe donc un certain nombre de règles destinées à assurer la sincérité des scrutins électoraux – qu’il s’agisse des élections municipales, départementales, régionales, sénatoriales ou législatives.
Les opérations électorales doivent pouvoir être considérées comme légitimes par le corps électoral. Une démocratie dans laquelle le vote ne répondrait plus qu’à la question « voter, à quoi bon ? » serait en effet une démocratie malade. « Il est donc essentiel que l’électeur soit assuré de la sincérité des opérations elles-mêmes, pour pouvoir croire au sens et à la portée de son vote »[6]. Ainsi que l’affirme fortement notre Constitution, tout suffrage électoral « est toujours universel, égal et secret »[7].
L’atteinte à la sincérité du scrutin est reconnue sur la base d’un faible différentiel de voix entre les candidats à l’issue du scrutin et de l’influence de l’irrégularité sur cet écart. Deux types d’irrégularités sont alors susceptibles d’attenter à la sincérité d’un vote : les irrégularités tenant à la matérialité du vote et les irrégularités tenant à la moralité du vote[8]. Par exemple, pour les communes de plus de 20.000 habitants, il existe des commissions de contrôles des opérations de votes chargées de contrôler la régularité du processus électoral[9].
* Assurer la sincérité matérielle des scrutins électoraux
Le vote étant un devoir du citoyen en démocratie, l’inscription sur listes électorales est obligatoire[10], même si elle intervient désormais d’office à l’âge de la majorité. Un électeur ne peut toutefois être inscrit simultanément sur plusieurs listes électorales[11]. Dans l’hypothèse d’une dédoublement d’inscriptions, son vote demeure valable à condition qu’il ne l’exprime qu’une seule fois[12]. La question de la validité du vote demeure toutefois indépendante d’éventuelles sanctions pénales[13].
De façon dérogatoire, les fonctionnaires assujettis à une résidence obligatoire dans une commune autre que celle de leur domicile ont la possibilité de pouvoir être inscrits sur la liste électorale de leur résidence professionnelle[14]. Les personnes détenues[15], de même que les militaires[16], disposent quant à eux d’un choix entre plusieurs communes pour leur inscription sur listes électorales.
Dans chaque commune, c’est au maire qu’il appartient de contrôler les conditions d’inscription et de radiation sur listes électorales[17], celles-ci étant désormais centralisées au sein d’un répertoire unique tenu par l’INSEE[18]. Les listes électorales étant rendues publiques annuellement[19], l’inscription ou l’omission de radiation d’une liste électorale peut être contestée devant le juge judiciaire à l’initiative de tout électeur ; la juridiction se prononçant alors en premier et dernier ressort[20].
Ces règles d’inscription sur listes électorales constituent ainsi certaines des modalités concrètes de mise en œuvre du principe d’uniformité des opérations électorales. Elles doivent être les mêmes partout sur le territoire de la République. Ce principe se déduit du principe d’égalité de suffrage. En d’autres termes, chacun doit pouvoir voter dans les mêmes conditions.
Autre principe général du droit électoral destiné à assurer la sincérité des scrutins : l’exigence de neutralité de l’autorité publique. « Il est interdit à tout agent de l’autorité publique ou municipale de distribuer des bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats »[21], sous peine en effet de sanctions pénales[22]. Ainsi, « toutes discussions et toutes délibérations des électeurs sont interdites à l’intérieur des bureaux de vote »[23]. « Le scrutin est secret »[24], et doit donc le rester.
* Assurer la sincérité morale des scrutins électoraux
La sincérité du scrutin ne peut être garantie sans une bonne information des électeurs sur la qualité réelle des candidats. Attention, donc, aux délais imposés par le code électoral pour déposer sa candidature à une élection[25]. Pour s’exprimer sincèrement, il faut en effet que chaque électeur puisse connaître avec certitude l’identité de l’ensemble des candidats. Cette règle vaut également pour le retrait des candidatures, qui ne doit pas intervenir trop tardivement, faute de quoi il risquerait de troubler la perception que se sont fait les électeurs sur l’identité et le nombre des candidats en lice. Pour les députés, « les candidatures ne peuvent [donc] être retirées que jusqu’à la date limite fixée pour le dépôt des candidatures »[26]. Figer le débat et les candidatures est donc nécessaire à la sincérité du scrutin. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur astreint les candidats au respect d’une période de neutralité la veille et le jour du scrutin[27].
Pour ce qui est des élections locales, il existe même une certaine exigence d’enracinement territorial quant à la qualité des candidats. Si un candidat à la députation ne doit pas nécessairement avoir son domicile ou sa résidence habituelle dans la circonscription dans laquelle il se présente[28], dans les communes de plus de 500 habitants, il en est autrement, puisque le nombre de conseillers municipaux ne résidant pas dans la commune, où ils sont élus, ne peut excéder le quart des membres du conseil municipal[29]. Le nombre de « conseillers forains », c’est-à-dire de conseillers municipaux ayant seulement une résidence secondaire dans la commune où ils sont élus, et n’y séjournant que les week-ends ou les vacances[30], est ainsi limité.
Les candidatures sont en outre généralement astreintes à une exigence de parité hommes/femmes[31].
De façon générale, tous les citoyens ne sont pas éligibles à toutes les élections. Il existe en effet des cas d’incompatibilité, à raison des fonctions occupées, et d’inéligibilité, à raison d’une condamnation par le juge électoral. Si les militaires en position d’activité sont, par exemple, inéligibles, ce n’est pas le cas en revanche des réservistes, qui ne peuvent cependant exercer leur activité de réserviste dans la circonscription où ils sont élus[32]. L’inéligibilité s’apprécie strictement et au jour de l’élection[33]. De même, les incompatibilités sont appréciées strictement, mais au jour toutefois où le juge statue[34].
Pour s’assurer, enfin, que les élus de la Nation ne sont pas les élus d’intérêts particuliers, et désamorcer ainsi toute situation de conflit d’intérêts, une double déclaration d’intérêts est requise. Le député fraichement élu doit donc se livrer à une déclaration, non seulement de situation patrimoniale, mais aussi d’intérêts et d’activités, à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP)[35]. Pour assurer sa campagne médiatique, chaque candidat à la députation dispose par ailleurs d’un temps d’antenne limité qui est fixé par l’Arcom[36].
Les règles destinées à assurer un contrôle du financement des campagnes électorales
* Assurer l’égalité des candidats par le plafonnement des dépenses de campagne
Pour assurer l’égalité des candidats aux élections, les dépenses de campagne sont plafonnées[37], en fonction du nombre d’habitants pour les élections municipales, départementales et régionales, et forfaitairement pour les élections parlementaires (38.000 euros par candidat) avec un système de majoration en fonction du nombre d’habitants dans chaque circonscription. Un compte de campagne avec la désignation d’un mandataire financier doit être réalisé.
Afin de chasser du processus électoral toute logique de clientélisme, la souscription d’emprunts bancaires destinés à financer les campagnes est très contrôlée. Si chaque électeur demeure libre de consentir un prêt au candidat de son choix, il ne peut toutefois le faire que dans la limite d’un échéancier de cinq ans et de façon occasionnelle[38]. Quant aux dons, ils sont limités dans leur montant – chaque électeur ne pouvant donner à un candidat que la somme maximale de 4.600 euros[39].
Il va sans dire qu’aucune campagne ne peut jamais être financée au moyen de fonds publics, grâce à l’emploi par exemple d’indemnités issues d’un mandat en cours[40]. On ne finance donc pas sa réélection avec son indemnité parlementaire.
* Assurer l’égalité des candidats par le remboursement d’une partie de leurs dépenses de campagne
Tout candidat obtenant 5% au moins des suffrages exprimés pourra obtenir de l’État le remboursement d’un peu moins de 50% du plafond de ses dépenses de campagne[41].
Le respect des règles de financement des campagnes électorales est contrôlé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)[42] qui peut décider du rejet du compte de campagne, ce qui conduira à la saisine du juge électoral.
[1] Art. L. 4 du CJA (appel non-suspensif en droit commun) et L. 223 et L. 250 al. 2nd du c. élect. (appel suspensif).
[2] Art. R. 97 du c. élect.
[3] CE, 29 juill. 2002, Él. de Nemours, n°239185 et art. R. 19-6 du c. élect.
[4] Compétences CNCCFP dans le c. élect.
[5] J.-P. Camby, Bureau de vote : mode d’emploi, Introduction, p. 5.
[6] J.-P. Camby, Bureau de vote : mode d’emploi, Introduction p. 6.
[7] Art. 3 al. 3 de la Constitution du 4 oct. 1958.
[8] Pour reprendre la célèbre distinction proposée par le Pr. Laferrière dans son Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, 2e éd., 1896.
[9] Art. L. 85-1 du c. élect.
[10] Art. L. 8 du c. élect.
[11] Art. L. 10 du c. élect.
[12] CE, 1990, n°116456.
[13] Art. L. 86 du c. élect.
[14] Art. L. 11 3° du c. élect.
[15] Art. L. 12-1 du c. élect.
[16] Art. L. 13 du c. élect.
[17] Art. L. 18 du c. élect.
[18] Art. L. 16 du c. élect.
[19] Art. L. 19 du c. élect.
[20] Art. L. 20 du c. élect.
[21] Art. L. 50 du c. élect.
[22] Art. R. 94 du c. élect.
[23] Art. R. 48 du c. élect.
[24] Art. L. 59 du c. élect.
[25] Art. L.O. 160 (élections législatives) et L. 265 du c. élect. (élections municipales).
[26] Art. R. 100 du c. élect.
[27] Art. L. 49 du c. élect.
[28] Art. L.O. 127 du c. élect.
[29] Art. L. 228 du c. élect.
[30] CE, 1989, n°108208, Él. de Francazal.
[31] Art. L. 264 (élections municipales) et L. 191 du c. élect. (élections départementales).
[32] Art. L. 46 du c. élect.
[33] CE, sect., 2 mars 1990, n°108267, Él. municipales de Quintin.
[34] CE, 6 janv. 1984, Meissonier.
[35] Art. L. O135-1 du c. élect.
[36] Art. R. 103-2 du c. élect.
[37] Art. L. 52-11 du c. élect.
[38] Art. L. 52-7-1 du c. élect.
[39] Art. L. 52-8 al. 1er du c. élect.
[40] Art. L. 52-8-1 du c. élect.
[41] Art. L. 52-11-1 du c. élect.
[42] Art. L. 52-14 du c. élect.
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