Conceptualisé dans les années 1970 aux Etats-Unis par le psychiatre et psychothérapeute, Herbert J. Freudenberger[1], le « burn-out », c’est-à-dire « l’épuisement professionnel », irrigue un grand nombre de contentieux à l’heure où notre société se saisit pleinement des risques psychosociaux.
Derrière les récits de vie des patients et les diagnostics, s’inscrit, en filigrane, l’épineuse question de la caractérisation de la filiation médicale entre l’activité professionnelle et l’affection contractée par l’agent, que celui-ci relève du droit privé ou de droit public.
En pratique, il revient au médecin, généraliste ou spécialiste, de prescrire les arrêts de travail au patient dont l’état de santé l’empêche de travailler pour une durée déterminée.
Le certificat médical et les constatations médicales peuvent ainsi devenir des pièces de procédure et de fait, être discutés contradictoirement lorsqu’il existe un contentieux avec l’employeur.
Il n’est pas rare, par ailleurs, que des contentieux s’ouvrent à l’encontre de médecins, accusés par les employeurs de faire un lien entre les conditions d’emploi de leur patient et la dégradation de son état de santé.
Ce sont bien les éléments d’appréciation effectués par un médecin et l’emploi du terme « burn-out » qui a donné lieu, au printemps, à une décision importante du Conseil d’État.
Dans une décision, en date du 28 mai 2024 (CE, 28 mai 2024, n° 469089, Lebon C), les juges du Palais-Royal ont été amené à préciser que la simple mention « burn-out » sur un certificat médical ne caractérise pas, de la part du médecin traitant rédacteur, une faute déontologique justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire et par, là-même, un certificat médical de complaisance.
Faits : la mention « burn-out » par le médecin sur le certificat médical
Lors d’une prolongation d’arrêt de travail d’un salarié, une médecin généraliste avait porté la mention « burn-out » dans la rubrique consacrée aux « éléments d’ordre médical ».
Soulignons, en effet, que l’article L. 162-4-1 du code de la sécurité sociale impose aux médecins de mentionner sur la prescription d’arrêt de travail destinée au service du contrôle médical, dont la transmission conditionne le versement au salarié des indemnités journalières, « les éléments d’ordre médical justifiant l’interruption de travail ».
Au regard de cette mention, l’employeur a porté plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale à l’encontre du médecin généraliste en lui reprochant une faute déontologique pour avoir rédigé un certificat médical « tendancieux ou de complaisance ».
L’utilisation du terme « burn-out », reviendrait ainsi à porter une appréciation sur le climat de travail qui aurait favorisé une dégradation de l’état de santé du patient placé en arrêt maladie et, par ricochet, à mettre en cause la responsabilité de l’employeur.
Saisie du litige, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins avait confirmé la sanction de l’avertissement infligée à la praticienne médicale qui s’est alors pourvu en cassation contre cette sanction devant le Conseil d’État.
Débat : une faute disciplinaire du médecin traitant par la mention « burn-out » sur le certificat médical ?
L’article R. 4127-28 du code de la santé publique dispose que « la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite« .
Tout manquement à ces dispositions est de nature à constituer un manquement déontologique justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire.
Pour justifier le bien-fondé de la sanction infligée, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a considéré que l’arrêt de travail rédigé par le médecin généraliste contrevenait aux préconisations de la Haute Autorité de Santé (HAS) et, en particulier, à la recommandation de bonne pratique du 22 mai 2017, intitulée « Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burnout ». Les recommandations de la HAS prévoient, notamment, en la matière, dans l’intérêt du patient, et avec son accord, un dialogue entre le médecin traitant et le médecin du travail, afin d’établir une analyse du poste et des conditions du travail, en sus des éléments de récit du patient.
Or, en l’espèce, en retenant l’existence d’un « burn-out » sans disposer de l’analyse des conditions de travail du patient et, ainsi, le concours du médecin du travail, le médecin généraliste aurait, en se fondant sur les seuls dires du patient, méconnu les dispositions de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique susmentionnées.
En défense, la requérante faisait valoir, notamment, que la mention d’un « burn-out » ne caractérisait pas nécessairement une faute de l’employeur, le « burn-out » pouvant s’expliquer par des caractéristiques liées à la fois au travail et à l’individu qui en est le sujet.
Il s’agirait ainsi d’une dégradation du rapport subjectif au travail, dont la constatation entre dans les compétences et le pouvoir d’appréciation du médecin traitant.
Après une clarification terminologique particulièrement la bienvenue pour appréhender le syndrome d’épuisement professionnel, le rapporteur public, M. Raphaël Chambon, a tout d’abord procédé à un rappel de la jurisprudence du Conseil d’État en matière de certificat de complaisance.
Il a, par ailleurs, exposé que la caractérisation d’un certificat tendancieux, ou d’un certificat de complaisance, supposait, soit l’immixtion du médecin dans une situation ou un conflit qui ne le concerne pas, soit que le contenu de l’arrêt délivré s’avère délibérément inexact ou mensonger.
Reprenant l’argumentation de la requérante, le rapporteur public a enfin souligné que les constatations médicales opérées ne sauraient dès lors se confondre avec une objectivation de la dégradation des conditions de travail de l’agent qui fait l’objet de l’arrêt médical.
La motivation de la Haute Assemblée : l’absence de certificat tendancieux ou de complaisance par la mention « burn-out » par le médecin sans analyse des conditions de travail du salarié
Le Conseil d’État a suivi l’analyse du rapporteur public dans cette affaire. Il a estimé que « la seule circonstance que Mme C ait fait état de ce qu’elle avait constaté l’existence d’un syndrome d’épuisement professionnel sans disposer de l’analyse des conditions de travail du salarié émanant notamment du médecin du travail ne saurait caractériser l’établissement d’un certificat tendancieux ou de complaisance au sein des dispositions de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique« .
Partant, la Haute Assemblée a estimé que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins avait inexactement qualifié les faits, de sorte qu’il y avait lieu d’annuler la sanction contestée et de lui renvoyer l’affaire.
Quelle portée pour cette décision du Conseil d’Etat ?
Bien qu’il ne soit pas prévu que cet arrêt soit publié ou mentionné au recueil Lebon, il nous paraît particulièrement éclairant à plusieurs titres.
Tout d’abord, il en résulte que l’utilisation de la mention « burn-out » n’engage pas la responsabilité du médecin traitant qui statue sur le placement en arrêt de travail de l’agent et sa prolongation.
De plus, le syndrome d’épuisement professionnel dûment constaté médicalement ne peut suffire à engager la responsabilité de l’employeur.
Enfin, lorsqu’un agent engagera une action pour faire reconnaître la filiation médicale de son « burn-out » avec ses conditions d’emploi, le certificat médical de son médecin traitant ne constituera pas une proba probissima ; c’est-à-dire, la « preuve des preuves » d’une dégradation objective du contexte d’emploi.
L’agent devra nécessairement apporter d’autres pièces et éléments permettant de caractériser des conditions d’emploi particulièrement difficiles et avec, un faisceau d’indices venant au soutien de ses allégations.
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[1] H.J. Freudenberger, Staff burn-out, J Soc Issues, 1974
Crédit photographie : Fidelio Avocats