Depuis le ministère Badinter (1981 – 1986), la place de la victime dans le procès pénal a sensiblement évolué. Ainsi que l’exprimait très fortement l’ancien Garde des Sceaux, « la victime doit être traitée en justice avec toute l’humanité que sa souffrance appelle »[1].
Il ne faut pas pour autant trahir la philosophie du procès pénal : « La justice pénale n’a pas pour mission [en effet] d’être une thérapie de la souffrance des victimes. Elle a une fonction répressive, dissuasive et expressive, car elle exprime les valeurs de la société. Mais elle ne saurait avoir une finalité thérapeutique. »
Pour éviter que « la justice ne se confonde avec la vengeance ou la compassion pour les victimes »[2], le législateur a donc cherché un équilibre permettant de répondre avec le plus d’humanité aux besoins des victimes d’infractions pénales[3]. Pour le criminologue Robert Cario, « les victimes possèdent [ainsi] une triple série de droits : à la reconnaissance, à l’accompagnement et à la réparation. »[4]
1. Un droit pour mieux répondre aux besoins des victimes
La justice pénale étant rendue au nom et pour le compte de la société, il est logique, au premier abord, que la victime n’y tienne qu’un rôle secondaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’action publique est exercée par le ministère public. Car c’est elle qui a pour objet la mise en œuvre des sanctions pénales. Comme le rappelait très justement Alain Boulay, président fondateur de l’association d’Aide aux parents d’enfants victimes (APEV), dans l’émission d’Antoine Garapon consacrée à la figure de la victime, « la justice est [d’abord] faite pour les auteurs »[5]. Lorsque l’on condamne quelqu’un, « ce n’est [donc] pas par ce qu’il a tué ou violé, mais parce qu’il ne respecte pas les lois ».
Les victimes ont toutefois des droits dans le procès pénal[6]. Le premier des droits des victimes étant le droit d’être informées par les enquêteurs de l’existence de leurs droits et des modalités pour les exercer. Les victimes ont notamment le droit d’obtenir réparation de leur préjudice, d’être informées des mesures de protection dont elles peuvent bénéficier (comme l’ordonnance de protection en matière conjugale), ou encore d’être assistées par un interprète[7].
Depuis 2001, les jurés d’assises doivent d’ailleurs prêter le serment de ne pas trahir les intérêts des victimes lorsqu’ils ont à connaître d’un crime[8]. C’est là sans doute la trace la plus ostensible de l’évolution de la place des victimes dans le procès pénal.
Par ailleurs, si les victimes peuvent participer plus largement aux phases d’enquête et de jugement, elles restent néanmoins globalement exclues des procédures d’aménagement de peines devant le juge de la liberté et de la détention , sauf lorsqu’une libération conditionnelle est envisagée. Pour les condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans ou à une peine de réclusion criminelle, l’avocat de la partie civile peut en effet assister au débat contradictoire et présenter des observations[9].
2. Une procédure pénale pour les victimes ?
Pour les atteintes à la personne résultants de certaines infractions particulièrement graves, une procédure d’indemnisation est prévue par le code de procédure pénale devant les juridictions répressives. Cette procédure est organisée devant la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Elle permet ainsi aux victimes d’être indemnisées par l’État, indépendamment de toute poursuite pénale contre l’auteur de l’infraction qui leur a causé un préjudice[10].
Afin de permettre aux victimes d’être entendues dans le procès pénal et d’agir pour faire reconnaître la commission d’une infraction à leur égard, le code de procédure pénale met en outre à la disposition des victimes de précieux outils procéduraux car « derrière la clameur de la victime se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit. »[11]
- Le droit pour la victime de se constituer partie civile pour obtenir réparation
Le droit pour les victimes d’infractions de se constituer partie civile n’est pas nouveau puisqu’il existe maintenant depuis plus de deux siècles. Héritée du code d’instruction criminelle napoléonien de 1808, la constitution de partie civile a vu ses conditions être progressivement assouplies. L’action civile permet ainsi aux victimes d’infractions de réclamer la réparation financière du dommage en résultant. Pour décisive qu’elle soit dans le procès pénal, la constitution de partie civile n’est pas un droit absolu[12]. Elle répond en effet à des conditions de recevabilité qui sont appréciées par le juge pénal[13].
- Le droit pour la victime de saisir directement le juge d’instruction pour qu’une information judiciaire soit ouverte (la plainte avec constitution de partie civile)
Le ministère public ayant la charge de l’opportunité des poursuites[14], c’est à lui qu’il revient de mettre ou non en œuvre l’action publique. En substance, dans l’hypothèse d’un classement sans suite ou d’une absence de réponse du ministère public à la suite d’une plainte simple, les victimes peuvent toutefois saisir directement le juge d’instruction pour solliciter l’ouverture d’une information judiciaire. Cette plainte avec constitution de partie civile[15] pourra donner lieu le cas échéant à une procédure d’instruction et aboutir au renvoi de prévenus ou d’accusés devant les juridictions répressives, indépendamment donc de l’avis initial du parquet.
Si le magistrat instructeur saisi par une plainte avec constitution de partie civile décide de ne pas ouvrir d’information judiciaire, sa décision peut même être contestée par les victimes devant la chambre de l’instruction[16]. Attention, toutefois : si le juge d’instruction rend finalement une ordonnance de non-lieu après avoir ouvert une information judiciaire sur plainte avec constitution de partie civile, il peut tout à fait condamner les victimes pour procédure abusive[17].
- Le droit pour la victime de saisir directement le juge pénal (la citation directe)
Les victimes peuvent même parfois saisir directement les juridictions pénales. Seuls les délits et les contraventions peuvent toutefois faire l’objet d’une citation directe. En sont donc exclus les crimes, c’est-à-dire les infractions les plus graves (homicide, viol, …). Les mineurs ne peuvent d’ailleurs jamais faire l’objet d’une procédure de citation directe[18].
De même que pour la plainte avec constitution de partie civile, un cadre est prévu pour en limiter les abus. Une citation directe n’est ainsi possible qu’à la condition qu’une somme d’argent ait été préalablement consignée par la victime[19].
Par ailleurs, cette voie de droit n’est pas possible pour toutes les procédures. Elle est ainsi fermée aux procédures relevant du droit pénal militaire.
3. La justice restaurative pour aller plus loin que la réponse pénale
« Le vocabulaire du droit est-il apte à restituer l’expérience vécue par les victimes ? »[20], s’interroge le magistrat Antoine Garapon, lui qui estime que les victimes ont même une « créance de sens » à l’égard de la justice.
Etre une victime, c’est d’abord en effet une expérience traumatique dont on veut se défaire, une trajectoire de vie à accomplir. Le philosophe François Azouvi dénonce d’ailleurs le phénomène « d’ontologisation de la victime »[21], considérant que les victimes ne doivent pas être réduites à un état indépassable, mais appréhendées au contraire comme étant prises dans un processus, un cheminement. Raison pour laquelle il faudrait donc selon lui penser « une passerelle vers les autres », pour permettre aux victimes de sortir de leur isolement, et de refaire ainsi communauté politique.
Importée du Canada, la justice restaurative a justement la prétention de dépasser le cadre contraignant du procès pénal. Précisément, de l’aveu même d’un condamné, pendant le procès, « les victimes n’ont pas envie de vous écouter »[22]. « Il manque [donc] à la réponse strictement pénale une réponse en équité qui porte sur la répercussion du crime ». C’est là toute l’ambition précisément de la justice restaurative.
Ce modèle de justice permettrait en effet une « libération de la parole qui n’est pas possible pendant le procès », mettant ainsi les victimes sur le chemin du pardon. Mais, attention : « pardonner, ce n’est pas se réconcilier ou oublier, mais calmer la colère intérieure et éliminer la soif de vengeance. C’est retrouver une paix intérieure. C’est donc [bien] une libération. ». La justice restaurative permettrait ainsi de retrouver « un langage commun » entre les victimes et les coupables. Comme le disait Robert Badinter, qui avait d’ailleurs lui-même fait paraître par son ministère un Guide des droits des victimes (1982), « la justice est souvent inhumaine quand elle veut savoir. Elle ne redevient humaine que quand elle veut comprendre. »[23]
Pour le criminologue Robert Cario, « la justice restaurative est [ainsi] consubstantielle de notre humanité »[24]. Par la confrontation et le dialogue entre les auteurs et victimes des mêmes types d’infractions, elle permettrait en effet le maintien et la reconstruction d’une certaine harmonie au sein du corps social. Elle fournirait en tout cas l’occasion pour les victimes d’être pleinement reconnues et comprises dans leurs souffrances. Transposé du droit européen[25] depuis 2014 par la loi Taubira[26], le dispositif de justice restaurative est aujourd’hui pleinement mobilisable en droit français[27].
Justifiant d’une expertise reconnue en procédure pénale, et pour Me Mougin d’une spécialisation en droit pénal, les avocats du cabinet Fidelio Avocats assistent les victimes d’infractions à tous les stades de la procédure (dépôt de plainte auprès du procureur de la République, plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, citation directe devant le tribunal correctionnel).
Crédit photographie : Fidelio Avocats
Notes de bas de page :