Le militaire, qui se voit infliger une sanction disciplinaire, a la possibilité de la contester devant la juridiction administrative dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Les hommes du rang et sous-officiers se doivent de saisir le tribunal administratif compétent. Ils auront la possibilité d’interjeter appel devant la Cour administrative d’appel, puis de se pourvoir en cassation. Les officiers ne peuvent saisir que le Conseil d’Etat, compétent en premier et dernier ressort.
Cet article n’a pas pour finalité d’aborder la procédure disciplinaire (conseil d’enquête, etc.) ou la qualification juridique de la faute disciplinaire. Il se concentre sur le contrôle par le juge administratif de la proportionnalité de la sanction infligée par l’autorité militaire.
1. Les trois groupes de sanctions disciplinaires
Pour mémoire, l’article L. 4137-2 du code de la défense dispose que les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes.
Les sanctions du premier groupe sont : l’avertissement ; la consigne ; la réprimande ; le blâme ; les arrêts ; le blâme du ministre.
Celles du deuxième groupe sont : l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ; l’abaissement temporaire d’échelon ; la radiation du tableau d’avancement.
Enfin, les sanctions du troisième groupe sont : le retrait d’emploi, défini par les dispositions de l’article L. 4135-15 ; la radiation des cadres ou la résiliation du contrat (c’est-à-dire l’exclusion définitive de l’Institution).
Le président Bernard Stirn, dans une affaire du 13 juin 1990 (n° 112997, Lebon B), a eu l’occasion de préciser qu’une sanction doit intervenir suivant ce raisonnement : « L’administration doit (…) tenir compte du passé et de la manière de servir de l’intéressé (…). Le pouvoir disciplinaire (…) n’a pas nécessairement (…) à déboucher sur des sanctions majeures. Le contrôle de la gravité des sanctions permet (…) d’inciter l’autorité hiérarchique à mieux prendre en compte l’ensemble des circonstances d’une affaire sans négliger sa dimension humaine. »
2. Le contrôle peu normal de la proportionnalité de la sanction infligée au militaire
Il revient donc au juge administratif le rôle de contrôler la proportionnalité de la sanction décidée par l’autorité militaire.
Le rapporteur public de la 7ème chambre du Conseil d’Etat, M. Nicolas Labrune, rappelait en octobre 2023, que « si vous [le juge administratif] contrôlez la proportionnalité des sanctions disciplinaires infligées aux agents publics, vous n’en demeurez pas moins un juge de l’excès de pouvoir, qui doit apprécier la légalité d’une décision administrative et non pas substituer son appréciation à celle de l’administration». Il précisait ainsi que la question posée au juge de l’excès de pouvoir est « de savoir si cette sanction qui a été prononcée se situe ou pas dans les bornes de la légalité » (conclusions de Nicolas Labrune sur la décision CE, 31 octobre 2023, M. L., n° 474850, C).
Il citait en ce sens les conclusions de M. Rémi Keller, définissant le contrôle normal de la proportionnalité : « il ne s’agit pas (…) de priver l’administration de toute marge d’appréciation sur le choix de la sanction. (…) Il s’agit seulement de resserrer les bornes de la légalité, non de priver l’administration de toute marge de manœuvre » (conclusions de Rémi Keller sur la décision CE, Ass., 13 novembre 2013, M. D., n° 347704, A).
Se référant ensuite aux conclusions de M. Gilles Pellissier (sur la décision CE, 25 janvier 2016, M. P., n° 391178, B), M. Labrune rappelait la méthodologie proposée par ce dernier pour « concilier les exigences du contrôle normal et la marge de liberté laissé à l’administration », à savoir : exercer le contrôle de proportionnalité à l’échelle du groupe de sanction. Le juge de l’excès de pouvoir ne devrait pas, d’après M. Pellissier, « juger disproportionnée le choix entre l’une ou l’autre des sanctions d’un groupe lorsque la faute justifiait une sanction de ce groupe, eût-elle pu être plus ou moins sévère ».
Or, de notre avis, cette méthodologie devrait être améliorée, dès lors qu’elle connait ses limites lorsque le juge de l’excès de pouvoir est confronté à une sanction du troisième groupe.
3. Un office du juge administratif finalement plus restreint que celui d’un contrôle restreint ?
Bien que l’on comprenne que cette méthodologie préserve la « marge de liberté que réserve la notion de proportionnalité » à l’autorité militaire, et réaffirme l’office du juge de l’excès de pouvoir, elle ne saurait pour autant revenir de facto à restreindre le contrôle normal du choix de la sanction.
Il existe en effet un gap très important entre le retrait d’emploi, défini par les dispositions de l’article L. 4138-15 du code de la défense, et la radiation des cadres ou la résiliation du contrat, qui composent le troisième groupe. Leur différence est en réalité fondamentale : dans le premier cas, l’exclusion reste temporaire ; dans le second, elle est définitive.
Tout en préservant le juge administratif de devenir un juge de pleine juridiction, il serait donc opportun de concevoir, pour le seul troisième groupe, que le juge de l’excès de pouvoir puisse apprécier la sanction la plus proportionnée, sans contrevenir pour autant à la marge de liberté réservée à l’administration. Cela permettrait de parfaire le contrôle normal de la proportionnalité de la sanction.
Cette évolution se justifie aussi par un souci de cohérence avec l’appréciation portée par le juge concernant les sanctions prononcées à l’encontre des fonctionnaires. La « révocation » et la « mise à la retraite d’office » constituent à elles seules un quatrième groupe distinct des autres groupes ne comprenant aucune sanction entrainant une exclusion définitive de la fonction publique. La réflexion par référence au groupe de sanction est donc plus flexible et plus aisée pour le juge de l’excès de pouvoir concernant la fonction publique.
En d’autres termes, on ne voit pas pourquoi le juge de l’excès de pouvoir, concernant la fonction publique, pourrait annuler pour disproportion une sanction du quatrième groupe, convaincu qu’il n’y a pas lieu d’exclure définitivement le fonctionnaire à sanctionner, mais se restreindrait considérablement quand il est confronté à la situation d’un militaire…
L’affaire M.L. du 31 octobre 2023, sur laquelle M. Nicolas Labrune a conclu, en est la démonstration. On comprend entre les lignes à la lecture de ses conclusions, que si, par exemple, le retrait d’emploi avait été une sanction du deuxième groupe, il aurait pu conclure à l’annulation de la sanction, en tant qu’elle était disproportionnée à exclure définitivement cet officier de la gendarmerie.
Avant de consacrer un contrôle normal de la proportionnalité des sanctions infligées au militaire, le Conseil d’Etat jugeait que « l’autorité disciplinaire, qui disposait d’un éventail de sanctions de natures et de portées différentes, notamment de la possibilité de prendre, au sein même du troisième groupe de sanctions, une mesure de retrait d’emploi allant jusqu’à douze mois en vertu des dispositions de l’article L. 4138-15 du code de la défense, a, en faisant le choix de la plus lourde, celle de la radiation des cadres, qui met définitivement fin au lien entre le militaire et la gendarmerie, prononcé à l’encontre de ce dernier une sanction manifestement disproportionnée » (CE, 12 janvier 2011, n° 338461, Lebon A, conclusions de M. Nicolas Boulouis).
En d’autres termes, le Conseil d’Etat admettait alors de contrôler la manifeste disproportion au sein d’un même groupe de sanction ; surtout au regard de la circonstance que la radiation mette définitivement fin au lien entre le militaire et l’Armée ou la Gendarmerie nationale.
Reste à savoir si le Conseil d’Etat osera un jour franchir le pas d’un contrôle réellement normal…
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Avec des compétences reconnues, une écoute bienveillante et un engagement important, Hannelore Mougin et Maxime Thiébaut mettent tout en oeuvre pour vous aider à traverser les épreuves et affronter, ensemble, les échéances.
Crédit photographie : Fidelio Avocats (porte d’entrée du Conseil d’Etat)