Selon le dernier état des lieux du sexisme en France réalisé par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, « la persistance du sexisme est à l’origine de violences plus graves envers les femmes, dont le nombre ne diminue pas, voire augmente dans certaines sphères », notamment professionnelles. Les chiffres sont suffisamment éloquents : 60% des salariés interrogés estiment en effet avoir déjà été victimes de violences sexuelles et/ou sexistes au travail[1]. Toujours selon le HCE, la majorité des Français « se dit [d’ailleurs] choquée par l’impunité dont bénéficient les actes et propos sexistes »[2]. Dans un avis rendu en 2018, la Commission nationale consultative des droits de l’homme avait déjà elle-même remarqué « l’intolérance sociale grandissante à l’égard de ces comportements »[3].
Mais pour pouvoir prévenir les violences sexuelles et/ou sexistes (2) ou même les sanctionner (3), encore faut-il déjà être en mesure de les identifier (1).
Il s’agit donc d’abord d’un travail de lucidité et de caractérisation.
1. RECONNAÎTRE les violences sexuelles et/ou sexistes dans un contexte professionnel
« Nommer, disait Simone de Beauvoir, c’est dévoiler. Et dévoiler, c’est déjà agir »[4].
Ainsi, les violences sont dites sexuelles ou sexistes selon que le sexe est « l’objet » ou « le prétexte » des violences[5], selon donc que les violences sont biologiques ou sociales, sexuées ou genrées. Elles concernent majoritairement les femmes, mais peuvent aussi concerner les hommes.
La lutte contre les violences sexuelles et/ou sexistes du quotidien est une dimension très nouvelle du droit du travail. Ce qui explique en partie les difficultés qui subsistent aujourd’hui dans leur détection, et donc a fortiori dans la mise en œuvre des dispositifs légaux déjà existants.
La notion de harcèlement sexuel n’a fait, en effet, son apparition en droit du travail qu’en 1992[6], et n’a été étendue au droit de la fonction publique que dix ans plus tard[7]. Quant à la notion d’agissement sexiste, elle est apparue plus tardivement encore dans notre législation : d’abord en droit du travail en 2015[8], puis en droit de la fonction publique l’année suivante[9].
Les violences sexuelles au travail prennent pourtant le plus souvent la forme d’un harcèlement sexuel.
La jurisprudence du Conseil d’État est d’ailleurs constante en la matière :
« Des propos, ou des comportements à connotation sexuelle, répétés ou même, lorsqu’ils atteignent un certain degré de gravité, non répétés, tenus dans le cadre ou à l’occasion du service, non désirés par celui ou celle qui en est le destinataire et ayant pour objet ou pour effet soit de porter atteinte à sa dignité, soit, notamment lorsqu’ils sont le fait d’un supérieur hiérarchique ou d’une personne qu’elle pense susceptible d’avoir une influence sur ses conditions de travail ou le déroulement de sa carrière, de créer à l’encontre de la victime, une situation intimidante, hostile ou offensante sont constitutifs de harcèlement sexuel et, comme tels, passibles d’une sanction disciplinaire »[10].
Les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées par les autorités disciplinaires sont d’une nature et d’une intensité variables.
Pouvant prendre la forme d’un simple blâme[11], elles peuvent conduire à suspendre temporairement un agent de ses fonctions à titre de mesure conservatoire[12], et même à le révoquer[13].
Quant au sexisme au travail et en service, il peut prendre, lui aussi, «différentes formes (signes, commentaires, gestes, attitudes, comportements ou actes), plus ou moins négatives et hostiles, à des niveaux de fréquence, d’intensité ou de durée variable, mais qui ont toutes pour objectif de désavantager les femmes, de les ignorer, voire de les exclure »[14].
Une partie de la difficulté étant que ces violences sexistes trouvent leur origine dans un enracinement culturel, de nature qui plus est souvent diffuse. « Physiques, économiques, verbales, symboliques, les violences contre les femmes sont systémiques et protéiformes », estime le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes[15].
Les violences sexistes au travail peuvent même être – paradoxalement – présentées sous un jour avantageux : c’est « “l’esprit gaulois” en matière de relations femmes-hommes »[16]. Avec tout ce que cet « esprit gaulois » peut donc avoir de délétère pour l’épanouissement des femmes dans la sphère professionnelle.
Les violences sexistes et/ou sexuelles n’épargnent pas la fonction publique hospitalière, la fonction publique territoriale et l’enseignement supérieur, qui ont en commun en effet de s’être très largement féminisés ces dernières années.
Un protocole d’accord a même vu le jour en 2013 pour faire face à cette nouvelle donnée dans la composition sexuée de nos administrations[17]. Il prévoit notamment un dispositif de prévention de toutes les violences faites aux agents sur leur lieu de travail et la lutte contre le harcèlement dont ils sont susceptibles d’être les victimes.
Les violences sexistes et/ou sexuelles se retrouvent aussi dans nos armées et en gendarmerie.
Le 28 juin 2024, le ministre des Armées a, à cet égard, signé une nouvelle instruction ministérielle relative à la mise en œuvre du nouveau programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le prolongement du rapport de la mission d’enquête demandée conjointement par le ministre Sébastien Lecornu et la secrétaire d’État Patricia Miralles.
Cette nouvelle instruction a été pensée pour placer la victime au cœur du dispositif et homogénéiser les procédures[18].
Sont ainsi classiquement incriminés au titre des violences sexuelles et sexistes : les viols[19], les agressions sexuelles[20] ainsi que leur tentative[21], les actes d’exhibition sexuelle[22], mais aussi le harcèlement sexuel[23].
Le harcèlement sexuel pouvant d’ailleurs consister en un « harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui deviennent insupportables »[24].
Sont aujourd’hui également réprimés les agissements sexistes[25] ainsi que les outrages sexistes[26]. Avec cette dernière incrimination d’outrage sexiste, issue de la loi Schiappa[27], le législateur a voulu sanctionner plus amplement « cette zone grise que sont, entre autres, les gestes déplacés, les sifflements, les regards insistants ou remarques obscènes, le fait de suivre volontairement à distance une personne, les commentaires sur le physique ou la tenue, la présence envahissante et opprimante »[28].
2. PRÉVENIR les violences sexuelles et/ou sexistes dans un contexte professionnel
« La répression des auteurs de violences reste incontournable. Elle ne sera pas de nature à briser seule la mécanique de perpétuation de ces violences, aujourd’hui et demain, dans la mesure où, pour une large part, elles demeurent encore l’expression de stéréotypes archaïques ». « Aucune définition juridique ne pourra [en effet] remplacer l’effort nécessaire de prévention en la matière » [29].
Le Professeur de droit social Grégoire Loiseau se demande même si « la lutte contre les agissement sexistes n’aurait pas été envisagée dans une perspective avant tout préventive »[30].
Comme le souligne pourtant très justement le Défenseur des droits, « la difficulté de porter plainte est une caractéristique partagée pour l’ensemble des infractions sexuelles […]. Cette difficulté à témoigner est particulièrement grande dans un contexte professionnel car elle peut alors se conjuguer avec la peur de perdre son emploi »[31]. D’où la nécessité de responsabiliser en amont du dommage l’employeur, qu’il soit privé ou public.
L’employeur doit ainsi chercher à prévenir la commission de violences sexuelles et/ou sexistes au titre de son obligation général de sécurité[32], laquelle est même doublée d’une obligation spéciale destinée à prévenir le harcèlement sexuel[33]. La chambre sociale de la Cour de cassation juge d’ailleurs que les deux obligations ne sont pas solidaires, et donc exclusives, l’une de l’autre.
Même si le harcèlement sexuel n’est pas caractérisé, la responsabilité de l’employeur peut donc être recherchée pour manquement à son obligation général de sécurité[34]. Il n’existe pas en revanche d’obligation spéciale pour la prévention des agissements sexistes.
La prévention passe aussi – et surtout – par la sensibilisation des acteurs de terrain.
Il existe donc une série de guides pratiques à destination des administrations, lesquels sont « destiné[s]. à outiller les actrices et les acteurs des ressources humaines et les cadres pour prévenir, identifier et faire face à des situations de violences sexistes et sexuelles au travail »[35].
Concernant tout particulièrement le ministère des Armées, la cellule Thémis[36] en charge de recueillir les signalements de harcèlement sexuel, de violences sexuelles, d’outrages sexistes et de discriminations de toute sorte et de veiller à leur bon traitement a publié, pour sa part, un vade-mecum des bonnes pratiques et obligations dans le cadre de la lutte contre les infractions sexuelles et sexistes ainsi que les discriminations de toute nature au sein du ministère des Armées.
3. SANCTIONNER les violences sexuelles et/ou sexistes commises dans un contexte professionnel : quelle responsabilité ?
Si une meilleure répression des violences sexuelles et/ou sexistes passera peut-être un jour par le développement d’une véritable « culture de la crédibilité des victimes » dans le recueil de leur parole[37], il existe déjà certains dispositifs juridiques qui ont leur efficacité.
Les employeurs publics ont aujourd’hui l’obligation, par exemple, de créer des cellules de signalement destinées notamment à faciliter la répression disciplinaire du harcèlement sexuel et des agissements sexistes commis dans les administrations[38]. Ces cellules gagneraient à être mieux connues.
Sur le terrain contentieux, le juge administratif est tenu de l’appréciation que le juge répressif a pu faire de la matérialité des faits constitutifs de violences sexistes et/ou sexuelles[39]. Ainsi en est-il par exemple du viol[40], de l’agression sexuelle[41], ou encore du harcèlement sexuel[42]. Cette règle procédurale permet ainsi de faciliter le parcours juridictionnel des victimes de violences sexuelles et/ou sexistes dans le cadre de leur service.
Outre les actions disciplinaire et pénale contre l’auteur qui se cumulent et se complètent, il est possible de rechercher également la condamnation de l’administration d’emploi qui n’aurait pris aucune mesure, ou aucune mesure adaptée, à la suite une dénonciation, quand bien même la qualification de harcèlement sexuel ne serait pas finalement retenue par les juges[43]. On rappellera d’ailleurs qu’un agent de bonne foi ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés[44].
Les recours de la victimes contre son employeur qui a manqué à ses obligations est une manière « d’officialiser sa qualité de victime ». « La voie pénale n’est est pas moins ouverte de la manière la plus large puisque l’incrimination de harcèlement sexuel s’étend à des comportements qu’on ne retrouve pas dans la conception du Code du travail, comme les comportements à connotation sexiste et le cyberharcèlement »[45].
En cas de violences sexuelles et/ou sexistes au travail, les voies procédurales sont ainsi multiples pour obtenir une condamnation et une réparation.
Qu’il s’agisse donc d’un recours disciplinaire, pénal ou hiérarchique, cherchant à mettre en cause la responsabilité de l’auteur des violences sexuelles et/ou sexistes ou bien celle de l’administration négligente, les avocats du cabinet Fidelio vous accompagnent dans vos démarches juridiques avec le souci d’un conseil éclairé.
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